Thu, 23 Mar 2023

En Tunisie, le populisme à l'epreuve du pouvoir

The Conversation
09 Feb 2023, 18:39 GMT+10

Au lendemain des elections legislatives du 29 janvier, le detenteur du nouveau pouvoir tunisien, le President Kaïs Saïed, n'a pas manque de se reveler au grand jour : solitaire, obstine et neanmoins irresolu et velleitaire. Est-il pour autant isole et condamne en raison du faible taux de participation (11,4% des voix, soit 895.002 votants sur 7.853.447 d'electeurs)?

Rien n'est moins sûr, dans la mesure où la masse des votants n'est ni identique, ni similaire à celles des soutiens reels et potentiels au chef de l'Etat. Ces soutiens se mesurent à l'aune du capital de confiance populaire, certes use mais encore effectif ainsi que la faiblesse des concurrents au sein d'une opposition politique divisee.

L'abstention massive - à ne pas confondre avec le boycott qui est minoritaire - de près de 89 % du corps electoral, soit environ 9 Tunisiens sur 10 - s'explique, selon le president de la Republique, par le rejet de l'institution parlementaire suite à l'experience malheureuse de l'Assemblee precedente - gelee puis dissoute à l'issue du « coup de force » du 25 juillet 2021.

Une telle interpretation à chaud, sans reflexion prealable et sans etude approfondie, est le propre du populisme. Celui-ci reduit, par une logique simple voire simpliste, la complexite de la situation à un seul facteur issu du sens commun. Or, l'abstention massive lors des legislatives organisees en deux tours (17 decembre 2022 et 29 janvier 2023) denote d'un refus de la politique officielle.

Elle s'explique egalement par une fatigue citoyenne resultant d'un nombre excessif de consultations electorales alors que la crise economique et sociale generant une deterioration du pouvoir d'achat et une penurie des produits de première necessite est la preoccupation majeure des Tunisiens.

"Un pouvoir sans pouvoir"

De tout cela, le President n'en a cure et ne les evoque jamais, sauf pour en rendre responsables des forces monopolistiques obscures, renouant ainsi avec la theorie de la conspiration, l'autre ingredient ideologique du populisme.

Contrairement à l'image diffusee par les medias internationaux, le nouveau pouvoir tunisien n'est pas de type dictatorial**. Ceci, malgre la personnalisation et l'absence de concertation avec les corps intermediaires.

L'un de ses paradoxes est justement d'être « un pouvoir sans pouvoir » et sans autorite. Des pans entiers de l'economie, de la societe et de la culture lui echappent totalement. Qui plus est, la rhetorique politique se substitue à l'action publique. Le President parle et accuse sans agir et sans modeler le cours de l'histoire. D'où le caractère velleitaire du pouvoir sans prise sur le present et le quotidien. Du coup, les citoyens sont demoralises par l'absence de solution à la crise sans precedent que traverse le pays.

Il est vrai que cette crise resulte pour l'essentiel d'une gouvernance chaotique durant la dernière decennie. On constate egalement que le President qui a concentre tous les pouvoirs entre ses mains sans s'entourer de conseillers competents et sans engager un dialogue inclusif est responsable du marasme actuel.

Cette situation est d'autant plus regrettable qu'au lendemain du tournant historique du 25 juillet 2021 soutenu par la majorite ecrasante des Tunisiens, la chance s'est presentee de construire un consensus politique et de renforcer le pouvoir par une ouverture sur les forces politiques et les organisations de la societe civile. Rien de cela ne fut effectue car le President Saïed se veut un « homme propre », « sans ambition de pouvoir » et sans strategie de communication. Il a prefere faire cavalier seul, mû qu'il est par la doctrine messianique selon laquelle tous les politiques sont corrompus et doivent, en consequence, être ecartes de la scène.

Un president solitaire

Cette conception puritaine est la cause de son isolement puisque dans sa pretendue guerre contre « l'ennemi imaginaire », il a perdu progressivement le soutien de la plupart de ceux qui l'ont soutenu de près, sans pouvoir ecarter ses adversaires. En ce sens, il est peu politique car il ignore la logique des alliances et des mobilisations des « amis ». Pour lui, « l'ennemi » est partout et cette obsession pathologique risque de l'isoler à jamais de la societe politique et civile.

Du coup, l'identification à Habib Bourguiba et au general Charles de Gaulle paraît non seulement anachronique mais caricaturale. Rien que pour l'exemple, Bourguiba s'est toujours entoure d'hommes imposants qu'il savait choisir parmi les meilleurs tout en nouant des alliances pour construire sa « politique des etapes ». Il avait recours à une communication sans fioriture, ni demagogie, afin d'agir effectivement sur la realite et de moderniser la societe de fond en comble.

En revanche, l'actuel refus de dialogue avec l'Union generale des travailleurs tunisiens (UGTT), au moment où le pays risque la faillite economique, paraît insense et irresponsable dans la mesure où il risque de conduire à une guerre perdue d'avance. La Centrale syndicale, pivot de la societe civile, malgre ses limites, demeure agissante en tant que force de mobilisation collective et d'equilibre avec le pouvoir en place.

En verite, c'est tout le processus politique officiel engage depuis 18 mois qui pêche par excès de confiance et de personnalisation, sans tenir compte de la separation des pouvoirs.

La nouvelle politique n'est pas favorable à la continuite de la transition democratique. A preuve, la consultation nationale qui n'a recueilli qu'un demi-million de voix, l'elaboration personnelle d'une Constitution dont le texte initial concu par des collègues de renom - le Doyen Sadok Belaïd et le Professeur Amin Mahfoudh -, fut abandonnee au profit d'une version redigee au petit bonheur. A cela s'ajoutent le choix d'un mode de scrutin uninominal, exclusif des partis politiques et de la parite hommes-femmes, sans parler des textes liberticides comme le decret-loi 54-2022.

Un choix politique sterile

Le choix initial d'engager le pays dans un processus constitutionnel et electoral financièrement coûteux au detriment d'une reforme politique adossee à des fondements economiques et sociaux s'est avere absurde, sterile et sans perspective.

Quant à l'ideal d'une democratie participative et locale, c'est tout simplement une utopie qui ne correspond à aucune demande de la societe en quête des exigences de travail, de liberte et de dignite.

Pour mener à bien cette triple tâche, il importait de mettre en œuvre des politiques publiques decentralisees afin d'attirer les investissements et de resorber progressivement le taux de chomage (15,3 %) et les inegalites sociales et regionales. Un climat de confiance et non pas de defiance, comme c'est le cas actuellement envers les patrons et les ouvriers, s'imposait à tous les acteurs.

En l'absence d'une Realpolitik sur le double plan interne et externe, la Tunisie regresse depuis plus d'une decennie. Elle est en train de s'enfoncer davantage sous le poids de la bureaucratie, de la corruption et de mediocratie imposee par l'islamisme et le populisme, ces deux grands « amateurs » de la politique.

Au final, le scenario catastrophique pour la Tunisie serait un affrontement entre le pouvoir politique et le pouvoir syndical dont les leaders se regardent depuis des mois en chiens de faïence. Les deux camps n'osent pas encore franchir le seuil de l'irreparable dans un contexte de crise globale incluant l'erosion de la legitimite electorale et politique.

Author: Mohamed Kerrou - Professeur de sciences politiques, Universit de Tunis El Manar The Conversation

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